Changeante
CHANGEANTE
(traduction d'une partie de Bruixa de dol de la poétesse catalane Maria-Mercè Marçal)
"Una dona sense un home és com un peix sense bicicleta."
« Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette »
(Anonyme)
I
Aujourd’hui, vingt-et-un décembre,
Je suis sortie sur mon balcon :
Sous une pluie qui faiblissait déjà
J’ai vu les pots, marmites et bocaux
plantés d’agaves, de phalangères, de bégonias,
de géraniums, de cactus, de disphymas
Et d’impatiences.
Et le jasmin, qui s’il meurt , ne meurt jamais vraiment.
Il y avait bien longtemps que je n’étais pas sortie sur mon balcon
Je courais derrière des amours et autres choses…
II
Bonjour, tristesse.
Habille-toi de satin !
Dessine-toi sur le front
Les nuages et la lune
Et allons au bal
Car l’heure approche !
Le carnaval a des larmes
De couleur sur la joue.
III
Comme un poisson sans bicyclette
Je cherche mon cœur entre les vagues.
Je lève mon verre où meurt la lune
Dans du vin très doux.
Je me suis enivrée de solitude.
IV
La mort brûle la dernière chaume.
Et raccomode la charrue.
Ne coupez pas les arbres du canal !
V
L’arbre conservera longtemps
Mon regard qui l’ensorcelle pour la première fois.
Mais il faut couper du bois pour ce feu
Et la hache lance des éclairs.
VI
Ils m’ont d’abord percé les oreilles
Et je porte depuis des boucles d’oreilles.
Ne prenez pas cette forêt pour un chêne.
VII
J’ai les yeux en bois.
De temps en temps, un ver y pleure.
VIII
Ne m’envoûte pas, soleil,
Bateau sauvé de l’ombre
Car c’est l’ombre qui m’a prise.
Le crabe de ce crépuscule
S’est accroché à mon cœur
Et mes yeux sont le lac
Où la lune dit non.
IX
Les heures dansent
Sur ma peau
Et la solitude vient
Avec ses pieds menus
Ses pieds nus…
X
J’ai expédié il y a bien longtemps
Un ballon coloré
Sur je ne sais quel toit.
Le vent de mars joue à tuer
Et me le rend.
Mon cœur l’attrape.
XI
Lumière au balcon
Et saccage à la porte.
Je retourne la pièce de monnaie
c’est la lune.
XII
Je remonterai la tristesse au grenier
Avec la poupée sans yeux, le parapluie cassé,
Le cahier achevé, la vieille tarlatane.
Et je descendrai les marches avec la robe de joie
Que m’auront cousue des araignées dénuées de raison.
Il y aura des miettes d’amour au fond des poches.
Maria-Mercè Marçal, "Tombant", extrait de Bruixa de dol, traduction du catalan par lignelila.